Il y a tes pieds dans l'eau.
Le bruit des vagues.
La brise.
Ton coeur qui bat.
Il y a tes pas, l'un après l'autre, l'eau qui caresse tes jambes, tes cuisses, ta taille.
Elle est comme des bras, elle t'entoure.
Froid aimant.
Il y a tes yeux qui se ferment.
Un sourire.
Tu tombes.

Ils tombent souvent dans la vie, les gens.
Les autres.
Ceux qui ne sont pas toi.
Ils tombent, un genou, puis deux.
Le visage contre l'asphalte.
Poussière.
Mais toi, tu ne tombes pas vraiment.
Tu flottes.
Tu vis.
Survis.

Tu n'es pas grand-chose.
Un rien.
Une personne.
Un nom.
Une ombre.
Un chiffre parmi les autres.
Ce demi dans la population.
L'homme coupé en deux.
Celui pour lequel on se demande comment ça va ? sans vouloir le savoir.

Tu n'as pas d'histoire.
Tu détestes les histoires.
Il était une fois...
Mais rien n'est dû à la chance ; tu n'en as pas.
Tu n'es qu'un enfant ambitieux.
Qui vise un peu trop haut.
Qui trébuche.
Tu tombes.
Ce n'est jamais très bas.
Tu es comme de la mauvaise herbe, tu es toujours là.
Des fois, maman en avait marre.
Dégage.

T'es quelqu'un d'une sale espèce.
T'es pas recommandable.
T'as la sourire fourbe.
Les yeux rieurs.
Le rire pleureur.
T'as la vie facile, qu'ils disent.
Mais rien n'est facile.
Rien n'est donné.
Tout est à prendre ; et toi, tu as sauté.

Tu as suivi les rails.
Tu as pris le destin en main.
Un pas après l'un autre, un, deux.
Le vent murmure.
Les étoiles parlent.
Le monde est un brouhaha.
Il danse,
tangue,
se renverse.
Et sous tes pieds se dessine le vide.
Il n'y a rien.
Rien que tes yeux voient ; seulement ce que tu peux imaginer.
Et tu imagines des montagnes que tu peux gravir,
Tu imagines des rivières que tu peux traverser.
Tu imagines que rien n'est impossible ; alors rien ne l'est.

Tu n'es pas tout puissant.
Tu n'as rien d'inhumain.
Tu n'a rien.
Tu tombes.